LES BAHAMAS
Greens sur fonds turquoise
Visite de trois parcours de golf paradisiaques, signés par des grands noms, sur ces îles des Caraïbes. Où Tiger Woods trouve refuge.
Extrait du Figaro Magazine du 25 janvier 2013 (photo Eric Martin).
Sidérant. Le dernier golf construit sur l’île de New Providence est né de l’héritage de « l’Inspecteur Gadget ». Jean Chalopin, créateur et scénariste français de dessins animés des années 80 possédait une vaste propriété au sud ouest de Nassau. L’artiste et brillant homme d’affaires coulaient plusieurs mois par an des jours paisibles dans son Albany House, une grande maison coloniale, au bord d’une plage de rêve, quand les sirènes de l’excellente opération immobilière frappèrent à sa porte.
Celui qui créa aussi « Les Mystérieuses Cités d’Or » était rattrapé par sa série enfantine. Le groupe Tavistok, multidisciplinaire, présidé par le très puissant Joe Lewis, dont la fortune est classée au 290e rang mondial selon le magazine Forbes, signa un très gros chèque pour acquérir le spot. Avec, toujours, l’irrésistible ambition de créer l’un des plus beaux domaines de villégiature sur ce petit coin de la planète. Les premières étapes sont à l’image de sa réussite. Joe Lewis dégaine plus vite que son ombre. Les 25 villas exclusives, d’un grand luxe sans fausse note, ont poussé bien plus vite que les vieux palmiers ancrés dans le sable blanc. Un sable précieux, la marque de fabrique du golf.
Le patron anglais de Tavistok s’est tout simplement associé à Tiger Woods pour crédibiliser son projet. Et, en numéro 3 dans l’ordre des investisseurs, il fit appel à Ernie Els, le champion sud-africain, ami des deux autres initiateurs. Le quatruple vainqueur d’un tournoi du Grand Chelem fut chargé de dessiner le parcours de golf. Son scénario : s’inspirer de son amour pour les links écossais. Au pays du pesant standard américain, le lauréat des Opens Britanniques 2002 et 2012 a su apporter son empreinte originale. Des touches de vert pour départs, minces fairways et greens tout en longueur. Et, tout autour, le sable de la punition quand les coups se perdent dans le ciel azur. Le tracé est confiné entre les dunes, confectionnées grâce aux sables extraits de la marina qui sort de l’océan. Et il a fallut investir pas moins de trois millions de dollars pour importer les minuscules cristaux de roche, théâtre du spectacle grandiose, hantise du modeste joueur. Le challenge est stressant. On se consolera peut-être en apercevant, au détour, d’un green, les derniers ponts du yacht de Tiger Woods, 47 m de long, sur son port d’attache attitré.
Le contraste est saisissant entre la quiétude d’Albany et l’effervescence de Nassau, modeste capitale qui vit, par ses vastes chantiers de complexes touristiques (dont le « BahaMar» avec, en construction, un nouveau golf signé Jack Nicklaus), avec ses boutiques, luxe et guinguettes, attendant les imposants bateaux de croisière, à l’étroit sur les quais. Leurs passagers, essentiellement américains, auront-ils le temps de découvrir The National Art Gallery, espace où s’expriment les artistes locaux, de l’arrivée de Christophe Colomb aux souffrances des esclaves, jusqu’à l’indépendance des Bahamas en 1969, libérés du joug britannique ?
L’esprit du Commonwealth demeure à quelques pas du musée avec l’incontournable Graycliff. Ce ne pas seulement un petit hôtel, vieux de 300 ans. Enrico Garzaroli, l’imposant propriétaire des lieux, avec sa verve, notamment francophone, accueille chaque visiteur les bras ouverts. Des plus grands de la planète au simple touriste. Il vous fera visiter sa cave privée, « la 3e au monde », son trésor chéri dans un décor théâtral, avec plus de 275.000 bouteilles, des plus grands crus de tous les vignobles, vieux comme Bacchus. Il vous fera découvrir sa récente usine de cigares, exportés depuis des lustres chez tous amateurs de tabac noble. Et Enrico s’empressera d’ouvrir les portes de sa toute nouvelle chocolaterie proposant des délices issus du cacao de la Caraïbe.
Un pont entre l’histoire et le futur : bienvenue à Paradise Island. L’ouvrage descend inévitablement vers Atlantis. Ses buildings « disneyland », ses attractions à profusion où les toboggans nautiques se mêlent aux aquariums, où les dauphins embrassent les gamins. Le calme n’est pas très loin. Le discret One and Only et son repaire à taille humaine vous longe avec raffinement près de l’Ocean Club, l’un des golfs les plus anciens des Bahamas parfaitement remanié. Même si les constructions se multiplient le long du littoral, le dessin de Tom Weiskopf donne la garantie d’un parcours d’excellence, baigné par l’eau turquoise, caressé par une brise chaude qui peut être redoutable quand le swing n’est pas en adéquation avec le carma des lieux. Au lieu de sombrer dans l’énervement, mieux vaut ôter ses chaussures et marcher sur un fairway d’une très rare qualité. Une moquette…
Le paradis du golfeur existerait-il ailleurs ? Peut-être à Great Exuma, à quarante-cinq minutes grâce avec un petit vol confortable. A un long putt des piscines du resort Sandals, l’Emerald Reef propose un aller assez conventionnel puis vous transporte vers ses trous au bord des vagues, époustouflants. Les rochers naturels ne donnent droit à aucune erreur. Enervants ? Du moins, si l’on ne se contente pas des sublimes plages qui, inévitablement, doivent faire oublier une mauvaise carte de score. Le bel ouvrage est signée Greg Norman, le « Requin Blanc », forcément inspiré par la richesse halieutique de cet océan, loin de son Australie natale.
S’il faut quitter, un temps, l’un des plus beaux golfs des Caraïbes, une petite traversée en bateau-taxi permet de rejoindre Stocking Island et le fabuleux Chat’N’Chill. Plus qu’un restaurant, une baraque où Kenneth Bowe, (connu partout sous ses initiales « Kee-Bee »), vous fait découvrir sa salade de conchs, LE plat des Bahamas, avec ces lambis dont la partie non comestible permet de nourrir les raies manta, fort heureuses au bord du rivage. Très discret sur les personnalités qui fréquentent son établissement du bout du monde, il admet que, parfois, un yacht baptisé Privacy vient mouiller au large. Et qu’il reçoit à sa table son propriétaire, un certain Tiger Woods.
Denis Lebouvier (pour Le Figaro Magazine du 25 janvier 2013)
Le reportage sur LE FIGARO GOLF : Aux Bahamas, greens sur fond turquoise